TAROT CRÉATIF ET ONDE CLANDESTINE

Avant toute chose, je vais commencer par faire ce que je redoute le plus et qui m’est presque pénible. Je vais « définir », au risque de les réduire, trois éléments qui reviennent souvent dans mes écrits, mais qui ne semblent pas suffisamment clairs pour tout le monde.


1-   Les Triomphes : c’est le nom ancien que l’on donnait à ce que l’on appelle aujourd’hui les arcanes majeurs. Les 22 Triomphes portaient ce nom avant même d’avoir été intégrés dans le Tarot de Marseille. Ils ont donc selon moi une toute autre histoire que celle des arcanes mineurs qui sont les 56 autres cartes du Tarot de Marseille qui en contient 78 en tout.

2-   Entités pétrifiées : c’est le sentiment que beaucoup de gens ressentent quand ils sont face aux Triomphes. Ces images ne leur parlent pas, ils ont l’impression qu’elles sont figées, voir même hostiles, ils ressentent leurs importances mais se demandent par qu’elle bout les prendre. Ils les voient comme des entités pétrifiées.

3-   Ondes clandestines : c’est la partie de l’entité qui ne s’est pas laissée attraper. Imaginons que ce que représente un Triomphe soit vivant, et que soudainement pour des raisons pratiques de classification, il a été décidé dans faire un spécimen plat et inerte comme une carte (une entité pétrifiée). Et bien juste avant cette opération, la vie de l’entité s’est volatilisée et s’est réfugiée dans les plis du monde. C’est ce que j’appelle l’onde clandestine.


Voilà maintenant nous pouvons commencer

.L'onde clandestine d'un Triomphe c’est l’ineffable de l'entité pétrifiée. Cette onde vit sans sa carapace, en toute souplesse en dehors du champ de la conscience, insouciante aux significations symboliques portées sur elle. Son point de vue réveille la vieille question du « sens de la vie » en le déplaçant vers « le sens des vies » et nous permet de comprendre que nous ne sommes pas le centre du monde, mais que nous en faisant juste partie.

Il nous faut pister la trace de l’onde clandestine en découvrant en nous ce qui a persisté d'elle et a permis sa survie. L’empreinte qu’elle laisse est fatalement liée à son absence, il y a une béance derrière elle. L’onde clandestine résonne dans notre vie quotidienne, dans les conversations que nous entendons, les paysages que nous regardons, les films que nous voyons, les livres que nous lisons, les animaux que nous croisons, les plantes que nous sentons, les musiques, les goûts, les émotions, souvenirs, rêves, cauchemars, silences...

Partir sur les traces de l’onde clandestine pour ensuite se nourrir de cette observation, c'est l'inverse d'une cueillette d'un monde mort, mis à plat, à sécher pour être ensuite nommé et défini comme dans un herbier. Car dans ce genre de collection nous n’avons aucune chance de rencontrer le Soleil ( XVIIII) au contraire nous obscurcissons d'énormes régions de son être. 

 Alors, acceptons plutôt de contempler par exemple le tournesol, sans interférer, simplement en reconstituant son jaune lumineux en mémoire, en imagination solaire de façon à rendre hommage à la lumière qui transfigure les êtres, comme le disait Vincent Van Gogh.


Pour ne plus voir les Triomphes comme des entités pétrifiées, il est utile de les nourrir avec les ressources de la philosophie, de l'art, de la magie, de la psychanalyse, de la botanique, de la mythologie, de l’anthropologie, de l’astronomie, des superstitions, qui offrent une bonne approche du fait que dans ces domaines les Triomphes ne sont pas traités directement.

 « Nourrir ! » Les Triomphes eux aussi peuvent le faire, en s’adressant directement à l'esprit de celui qui les contemple dans leur ensemble, de leur naissance, à leur épanouissement, mais dans une manière créative d’observation permettant à l'entité pétrifiée de s'épanouir. Pas de généralisation, juste la découverte joyeuse des contradictions, le plaisir de la remise en question et des doutes que suscitent les Triomphes.

Comme un enchevêtrement, un mycélium, les Triomphes créent une infrastructure philosophique. Ils sont à la fois un et plusieurs, constitué d'une myriade de petits détails. Groupés mais relativement indépendants les uns des autres et peu à peu ils s’animent et se laissent entendre.

EXPÉRIMENTATION : faire résonner l’onde avec les voyelles puis les consonnes du Triomphe (le nom de l'entité pétrifier). Ne pas chercher le « bon son », mais le son de l'émotion, n'hésitez pas à «chouiner» à la Lune comme un chien, pour réveiller la mémoire oubliée qui se cache dans les plis de nos gorges, de nos cordes vocales.

 Entendre les ritournelles endormies de l'enfance comme un son primal, comme l’onde clandestine de la Lune qui donne forme aux vagues qui sont la mémoire de la mer et l'origine marine de notre sang. Alors, sachons écouter le chant de l'écume de mer.

Faire résonner la pierre, la roche, dans un chant de gorge d’une rivière encaissée d’Ardèche. C’est notre gorge et celle de la montagne qui chantent à l'unisson de l’onde clandestine du jugement (XX), ou de tout autre chose pour vous, venue de la matière vous procurer un frisson. Une force active qui ne cherche ni à dominer, ni à soumettre, mais à composer avec vous une ritournelle rassurante qui permet de créer un territoire même dans le mouvement.

Être chez soi dans l'errance, sentir que l'on fait partie du tout.

Poursuivons encore notre pistage de l’onde clandestine par nous-même, par le ressenti de notre peau, grâce à la délicatesse de la pudeur. Juste remarquer ce qui est intrigant sans le comprendre, c'est ce qui ouvre la piste.

 Comme je l'ai évoqué dans l'article précédent (numéro 2), des éléments constitutifs de l'entité pétrifiés peuvent attirer notre attention dans le paysage, de façon à permettre à l’onde clandestine de nous révéler quelque chose (Maison Dieu et l'arbre à l'intérieur). Mais bien souvent l'onde nous leurre avec des techniques de camouflage émotionnel, nous parlant trop franchement. Voilà pourquoi je pense que pour les contourner mieux vaut ne pas les regarder directement.

Par exemple : observez un Triomphe dans le reflet d’un miroir et posez-vous 22 questions à son sujet, sans chercher à trouver les réponses, simplement pour donner de l'épaisseur à son onde clandestine.

 Faire entrer du vivant dans le champ pour l’élargir. L'écrevisse n'est pas un décor, ni le lion, le chien, l’eau, l’arbre, etc... On s'ouvre pour s'oublier soi-même.

C'est dans le renouvellement du regard que la rencontre a lieu, dans la désinvolture du mental que l’écrevisse nous parle.

Sortir de nos routines de regard en utilisant le son pour mieux voir, de façon à permettre à la Papesse de glisser une note supplémentaire par ventriloquie, comme un écho, mais sans mémoire, pas une preuve juste une trace, les facettes d'un même miroir (chanson de Bashung comme un Lego, mais sans mémoire).

Et pour finir, je parlerais du mauve comme signe de la présence de l'onde clandestine, ce mauve absent des entités pétrifié, avec encore une petite allusion à une autre chanson (cette fois de Léo Ferré).

 Le mauve ! Mais pas n'importe quel mauve, pas le mauve des Lilas, pas le mauve de la glycine ni de La Bruyère même si elle est d'Apollinaire. Non le mauve qui se trouve derrière les yeux de l'onde clandestine, derrière les yeux de l'autre à l'instant de l'amour. Et quand enfin, tu auras trouvé ce mauve, tu entendras une voix qui chouinera sous la lune.

Une voix que tu comprendras de toute éternité dans la surprise fantastique de ta rencontre avec le vivant. 


Je vous souhaite un bon pistage de l’onde clandestine en toute humilité.